Interview Adrian Maben - Réalisateur de "Pink Floyd à Pompeii"

24 nov. 2016

RENCONTRE AVEC ADRIAN MABEN,

REALISATEUR DE “PINK FLOYD Live at POMPEII”

Par Lionel Eskenazi.

INTRODUCTION :

 Adrian Maben est né en Angleterre en 1942 près de Stonehenge, il étudie le cinéma au Centro Sperimentale di cinematografia à Rome en 1965-1966, école dirigée à l’époque par Roberto Rossellini.

En 1971, il entreprend le tournage de “Pink Floyd Live at Pompeii”. Le film d’une durée de 60 mn sort en 1972. A la fin de cette même année 1972, Adrian Maben retrouve Pink Floyd en les filmant pendant l’enregistrement de “The DarkSide of the Moon”. Ce document exceptionnel est rajouté au film, qui ressort dans une version de 80 mn en 1974.

Afin de publier une édition remasterisée de “Pink Floyd Live at Pompeii” en DVD, Adrian Maben sort une troisième version de son film intitulée : “The Director’s Cut”en 2003, d’une durée de 90 mn, qui inclue des séquences inédites tournées avec Pink Floyd en 1972, ainsi que des images de synthèse montrant la cité de Pompéi du temps des romains, et une flopée de passionnants bonus.

En juillet 2015 l’aventure de “Pink Floyd Live at Pompeii” va trouver un nouvel écho à travers une exposition de photos et de vidéos à Pompéii qui retrace le tournage du film, suivie en juillet 2016 d’une deuxième exposition dans les souterrains de la cité antique, intitulée : “Live at Pompeii Underground”, inaugurée par Adrian Maben et David Gilmour, qui donnera dans la foulée un concert dans le fameux amphithéâtre de Pompéi où il n’avait pas joué depuis 1971 !

 

INTERVIEW :

-        Vous êtes anglais et de la même génération que les musiciens de Pink Floyd. Comment avez-vous découvert leur musique ?

-        A Londres, en 1967, on parlait beaucoup de Pink Floyd. C’était le groupe underground branchéqui expérimentait une nouvelle musiqueà travers de longues improvisations. A cette époque, il y avait Syd Barrett et j’ai eu l’occasion de les voir sur scène au Roundhouse. Par la suite, j’ai continué à suivre leur évolution musicale et j’aimais beaucoup leur façon unique d’explorer de nouvelles sonorités tout en composant de superbes mélodies ! Pink Floyd, c’était le son d’une époque : The right sound at the right time !et très vite, j’ai eu envie de faire un film sur eux.

-        Comment êtes-vous rentré en contact avec eux ?

-        Çaa été long et compliqué car je n’avais aucune connexion dans le monde musical et je n’étais pas connu comme réalisateur. J’ai fini par joindre leur manager (Steve O’Rourke) et de fil en aiguille, j’ai réussi à les contacter. L’idée de faire un film sur eux leur a plu. Dans un premier temps, j’avais envie de mélanger des images du groupe en concert avec des tableaux de peintres que j’admirais comme Magritte, De Chirico ou Tinguely, mais il me restait surtout à chercher un endroit insolite et original pour filmer le groupe car je n’avais pas envie de les filmer sur une scène ordinaire.

-        Comment est venue l’idée de tourner à Pompéi ?

-        Il se trouve qu’à cette période, par le plus grand des hasards, je fais un voyage à Pompéi avec une amie. Je visite l’amphithéâtre à midi en plein soleil, et je m’assoie sur les marches pour manger un sandwich. Plus tard en fin de journée, je me rends compte que j’ai perdu mon passeport et je me dis que j’ai dû le perdre dans l’amphithéâtre. J’y retourne en début de soirée à l’heure magique du déclin du soleil. Je suis complètement seul dans le site et je me rends compte de son intense beauté, de son mystère, et de l’impressionnant écho sonore qui s’en dégage. Je ne retrouve pas mon passeport, mais par contre je trouve l’endroit idéal pour filmer Pink Floyd !

-        Les grands tableaux de peintres que vous aviez envie d’intégrer à votre film se sont du coup transformés en fresques romaines et vous les insérez assez naturellement à la musique du Floyd comme si la puissance créatrice du Floyd redonnait vie à cette cité antique.

-        C’est exactement ça. Je voulais redonner de la vie à cet endroit sublime, mais mort, et c’est pour ça que j’ai intégré des images bien réelles et vivantes de l’activité volcanique du lieu. La puissance, l’énergie et l’inspiration de la musique du Floyd me semblait en totale adéquation avec ce lieu magique.

-        Pourquoi avoir voulu filmer un concert en son direct, mais sans aucun public, dans un lieu vide et désert ?

-        Je tourne “Pink Floyd Live at Pompeii” exactement un an après la sortie du film “Woodstock”, qui a obtenu un vif succès et je souhaitais faire l’exact contraire de ce film ! Pink Floyd tenait absolument à jouer en live avec tout son matériel (20 tonnes qui ont été acheminés de Londres à Pompéi par camion !). Ils ont fait venir leur ingénieur du son Peter Watts qui enregistrait toute la musique sur un huit pistes. Le fait de ne pas avoir de public nous permettait toutes les libertés possibles de recommencer les prises et de placer les trois caméras là où je le désirais, à l’aide de longs travellings. Entre chaque prise, où les morceaux étaient divisés en sections soigneusement chronométrées par mes soins, les musiciens de Pink Floyd réécoutaient scrupuleusement leur musique.

-        Vous évoquiez les longs travellings latéraux sur le groupe en train de jouer. Ils m’ont fait penser à l’écriture cinématographique de Jean-Luc Godard. Est-ce une référence pour vous ?

-        Ce n’était pas conscient de ma part, mais vous avez certainement raison. J’ai vu les films de Godard et ils m’ont fortement impressionné ! J’ai le souvenir par exemple de ce fabuleux traveling latéral dans “Week-end” sur des voitures embouteillées qui se termine par une voiture accidenté. Et puis en matière de film musical, n’oublions pas que Godard a réalisé le superbe “One + One” sur les Rolling Stones !

-        Il y a aussi un aspect documentaire dans ce film où l’on voit le processus créatif du groupe pendant l’enregistrement de “The Dak Side of the Moon”.

-        Je tenais absolument à cet aspect documentaire où l’on voit le groupe en train de créer leur musique en studio.Je m’entendais bien avec Roger Waters et nous avions une passion commune : la pêche à la mouche ! C’est lors d’une partie de pêche juste avant l’enregistrement de “The Dark Side of the Moon” que je lui ai évoqué mon envie de filmer le groupe en studio. Il fallait être discret et je suis donc arrivé aux studios d’Abbey Road avec uniquement un caméraman et un ingénieur du son, et nous avons pu immortaliser ces séances magiques ! Evidemment, j’avais conscience que Pink Floyd était en train de réaliser un grand disque, mais nous ne pouvions pas savoir que cet album remporterait un succès aussi phénoménal !

-        Il y aussi des scènes plus intimes où le groupe mange et discute et puis une interview des musiciens très décalée et assez humoristique !

-        Oui, je voulais aussi filmer le groupe dans des moments intimes de vie commune afin de montrer qu’ils se comportaient comme des gens normaux. J’aime bien ces scènes où ils mangent et discutent entre eux. La séquence d’interview où ils ne répondent pas vraiment aux questions est typique de l’humour anglais. Un humour décalé, empreint de “non-sens”.

-        En 2015, l’histoire du film se poursuit à travers une exposition de photos à Pompéi où le maire vous honore du titre de citoyen d’honneur de la ville !

-        Oui, j’ai l’impression que l’histoire de ce film ne se terminera jamais. C’était une demande de la ville de Pompéi et c’était très émouvant de retourner sur ces lieux et d’organiser cette exposition. Je suis fier d’être citoyen d’honneur de la ville, mais ce qui m’a rendu le plus heureux, ce fût de rencontrer des quinquagénaires qui étaient des gamins à l’époque du film, et qui ont assisté au tournage en se cachant à notre insu !

-        Enfin, en cette année 2016, une deuxième exposition voit le jour et vous l’inaugurez en compagnie de David Gilmour qui donne un concert le soir même dans l’amphithéâtre antique !

-        Oui, c’était passionnant, car cette nouvelle exposition : “Live at Pompeii Underground” avait lieu dans les souterrains de l’amphithéâtre qui n’avaient pas été ouvert depuis 2000 ans ! J’étais ému de revoir David Gilmour, qui à son tour fût honoré du titre de citoyen de la ville. Le soir même il a rejoué pour la première fois depuis 1971 sur les lieux du tournage, mais en public cette fois-ci ! Il a précisé au public qu’il n’allait jouer aucun titre de la bande son du film car c’était impossible pour lui de le faire sans la présence de son ami Rick Wright, décédé en 2008.

CONCLUSION :

 Après “Pink Floyd Live at Pompeii”, Adrian Maben ne réalisera plus de films musicaux, mais continuera de consacrer une partie de son travail à la réalisation de films sur des artistes, comme ceux sur René Magritte (1978), Helmut Newton (1989), ou Georges de La Tour (1998), ainsi qu’une série en quatre épisodes sur une grand personnage politique : Mao Zedong (2006). Il réalise aussi des séries (“Riviera” pour TF1), des jeux TV (“Micro Kid ” pour A2) ou des journaux télévisés (“Soir 3”).

Lionel Eskenazi.