La Boite à Musiques : Jacques Schwarz-Bart

1 mai 2012

LA BOITE A MUSIQUES

JACQUES SCHWARZ-BART

Dans la foulée de la sortie de son cinquième album « The Art of Dreaming » (CHOC Jazz Magazine /Jazzman de mars 2012), enregistré en quartet avec Baptiste Trotignon, Thomas Bramerie et Hans Van Oosterhout, le saxophoniste Jacques Schwarz-Bart a accepté de se plier au jeu de la Boite à Musiques.

Aux platines : Lionel Eskenazi.

Fils d’André et Simone Schwarz-Bart, couple d’écrivains célèbres (André a reçu le Prix Goncourt en 1959 pour « Le Dernier des Justes » et Simone a écrit le best seller « Pluie et Vent sur Télumée Miracle »), Jacques Schwarz-Bart a la double culture juive et guadeloupéenne, enracinée entre la shoah et l’esclavage noir, dont le rapprochement a construit l’œuvre littéraire de ses parents. A l’âge de 27 ans, Jacques part aux Etats-Unis afin de perfectionner son jeu de saxophone à la Berlklee School, puis il se frotte à la scène du jazz  New-Yorkais. Il se fait très vite remarquer par Roy Hargrove, Danilo Perez et Ari Hoenig avec qui il travaille régulièrement et devient « Brother Jacques ». Pilier des diverses formations de Roy Hargrove, comme Crisol ou le RH Factor, il va aussi s’immiscer dans l’univers de la nu-soul en travaillant avec D’Angelo, Meshell Ndegeocello et Erykah Badu. Après l’expérience d’un premier album en leader en 1999, il se consacre exclusivement à ses projets personnels à partir de 2005 en cessant toute activité de sideman et réalise deux albums importants « Soné Ka-La » et  « Abyss » qui fusionnent gwo-ka guadeloupéen et jazz New-Yorkais. En 2010, il sort « Rise Above » qui mêle des ambiances soul, jazz, hip-hop et caraïbes afin de composer des chansons parfois politisées, mais surtout sensuelles et groovy pour sa femme la chanteuse Stephanie McKay et où il s’essaye pour la première fois au chant, au rap et à la guitare !

John Coltrane   After The Rain

« Impressions », 1963, Impulse.

C’est « After The Rain » de Coltrane ! Je trouve qu’avec « Naima », c’est une de ses plus belles mélodies. C’est un morceau que j’ai beaucoup écouté et qui m’évoque des émotions très profondes car j’ai passé une partie de mon adolescence dans la forêt tropicale où il pleut tout le temps. Il s’agit d’une expérience existentielle et solitaire où je me sentais plus un être vivant qu’un être humain et en écoutant ce morceau, j’ai l’impression d’être comme une plante qui attend le soleil après la pluie ! Avec « After The Rain », Coltrane va à l’essentiel et c’est ce sur quoi je me concentre aujourd’hui : la sobriété et le dépouillement. Après mon premier album « Immersion » en 1999, il m’a fallut 12 ans et une certaine maturité musicale avant de reformer un quartet acoustique dans la même formule que celui de Coltrane et je suis très fier de ce nouveau groupe et du projet « Art of Dreaming » au niveau du travail d’écriture, du développement de mon style et de mon son de saxophone.

Sonny Rollins     Jungoso

« What’s New », 1962, RCA.

Je crois que c’est Sonny Rollins, je reconnais son son et son phrasé, mais j’ai été surpris  par quelques imperfections techniques dans son jeu et le fait de l’entendre dans un contexte franchement afro-cubain en trio : sax, basse et congas. C’est très difficile pour un saxophoniste de jouer sans batteur avec un percussionniste, car la résonnance de la percussion se confond avec le son du saxophone ténor au niveau des fréquences et l’on a beaucoup de mal à entendre clairement son phrasé, j’en ai fait l’expérience avec « Soné Ka-La » et « Abyss » où je jouais avec deux gwo-ka. La percussion aux Antilles, ce n’est pas seulement du rythme car on ne peut pas la dissocier du chant et de la danse. Cela forme un tout avec une forte connotation poétique et spirituelle où l’on peut percevoir des énergies qui semblent danser autour de nous. J’ai été initié très jeune au gwo-ka qui a été mon premier instrument et j’en joue toujours en privé chez moi à New-York.

Baptiste Trotignon    Youpala

« Solo », 2003, Naïve.

C’est surement Baptiste ! J’ai bien identifié son toucher, mais ça doit dater de quelques années car sa sonorité a changé, on sent à la fois une évolution et une continuité. C’est un des grands pianistes de notre génération, il a une dimension internationale et c’est vraiment un privilège d’être à ses côtés. Baptiste a amené quatre compositions dans « Art of Dreaming » et notamment des morceaux très rythmiques alors que j’ai composé pas mal de ballades. C’est Ari Hoenig qui m’a parlé de Baptiste en premier et qui a pensé que nous devions jouer ensemble. Ça a pu se faire sous l’impulsion de Leon Parker avec Thomas Bramerie à la contrebasse pour quelques concerts et puis Leon Parker a laissé tomber pour des raisons personnelles. Lors d’un enregistrement avec le contrebassiste Sal La Rocca, j’ai retrouvé le batteur Hans Van Oosterhout avec qui j’avais déjà joué dans le quartet d’Olivier Hutman, et il est devenu évident qu’il serait notre batteur.

David El-Malek    Sion

« Music From Source, 2008, Plus Loin Music.

C’est David Sanchez ?, Jerome Sabbagh ?,  Ah, je ne vois pas ce que c’est ! (après lui avoir révélé l’identité du saxophoniste), je le connais plus de renommée que je ne connais sa musique,  mais je sais qu’il a joué avec Baptiste. J’ai pensé à David Sanchez, bien que la sonorité du saxophone soit plus grasse que la sienne, à cause du phrasé très be-bop et puis aussi par le rythme en sept temps qui peut être soit cubain, soit oriental ! Lorsque j’improvise, si l’on dissèque la plupart de me solos, il y a toujours des gammes orientales, inspirées aussi bien par la musique juive que par  la musique gnawa. La culture juive est un aspect important de mon identité (littérature, poésie, peinture) et j’assume complètement le fait d’être à la fois antillais et juif ! Mais musicalement ce qui me touche le plus dans la culture juive, c’est la musique rituelle, car il se passe toujours quelque chose d’émouvant quand l’homme s’adresse à ce qui le dépasse.

Patrice Caratini Jazz Ensemble & Alain Jean-Marie Biguine Reflections    Chofé Biguine La

« Chofé Biguine La », 2001, Emarcy.

C’est Mario Canonge ?, l’orchestre de Thierry Fanfant ? (puis après lui avoir dit de qui il s’agissait) Effectivement on reconnait le toucher d’Alain Jean-Marie, mais je ne connaissais pas ce projet en big band ! J’adore les big band, j’ai fait partie de la première version du big band de Roy Hargrove au début des années 2000 et j’en ai gardé une impression très forte : une puissance que l’on ne peut pas reproduire autrement, liée au volume d’air déplacé et aux ondes sonores qui s’en dégagent : ça donne des ailes à un soliste ! Pour revenir à la biguine, c’est une musique qui me touche car je l’ai entendu dans le ventre de ma mère. Ma mère connait d’ailleurs par cœur le répertoire de la biguine ainsi que les rituels vaudou, d’ailleurs elle chante très bien et aurait pu devenir chanteuse.

Elisabeth Kontomanou     Where I Wanna Be

« Embrace », 1999, SteepleChase.

(Il s’agit d’un morceau joué en duo avec le contrebassiste Thomas Bramerie) C’est Esperanza Spalding ?, Cassandra Wilson ? Ah, je n’ai pas reconnu Elisabeth ! Sa voix a beaucoup changé, elle a pris plus d’épaisseur, elle véhicule plus de chose. Je pensais à la voix d’une chanteuse plus jeune comme Esperanza, d’autant plus qu’elle est uniquement accompagnée d’une contrebasse ! Elisabeth, c’est une exploratrice, elle aime se mettre en danger, je l’ai rencontré en 1999 à New-York et avant de la faire chanter sur mon album « Abyss », on a joué plusieurs fois ensemble, notamment sous la direction d’Ari Hoenig. Quand à Thomas Bramerie, on s’est rencontré aussi à travers Ari dans un quartet avec Jean-Michel Pilc, c’est un super musicien et je suis très content de l’avoir sur « Art of Dreaming » où il a amené deux très belles compositions.

The RH Factor      Bullshit

« Distractions », 2006, Verve.

Je reconnais la voix de D’Angelo qui est pour moi une des plus originales de la musique noire américaine, mais je trouve ça moins intéressant que « Voodoo » (on lui dit qu’il s’agit du troisième album du RH Factor enregistré juste après qu’il quitte le groupe). Ce que j’aime dans la nu soul, c’est qu’elle intègre des harmonies de jazz et utilise des accords riches, mais malheureusement ce que je viens d’entendre est assez pauvre musicalement. Quand j’ai décidé de devenir leader, j’avais besoin mentalement de couper les ponts et de cesser mon activité de sideman, j’ai donc arrêté ma collaboration avec Roy Hargrove. L’expérience du RH Factor a été importante pour moi dans la mesure où j’ai écrit « Forget Regret » qui a été le tube du groupe et qui m’a donné de la visibilité en tant que compositeur, sinon ça a été plutôt une frustration musicale, car les compositions manquaient souvent de richesse et de sophistication. C’est dommage car on aurait pu être l’équivalent des Headhunters !

Aux platines : Lionel Eskenazi

REPERES

1962 : Naissance le 22 décembre aux Abymes en Guadeloupe.

1986 : Il découvre le saxophone à l’âge de 24 ans alors qu’il pratiquait le gwo-ka (percussion guadeloupéenne) depuis sa petite enfance (il avait quatre ans !)

1989 : Après de brillantes études et un possible avenir comme haut fonctionnaire, il décide de tout laisser tomber, part aux Etats-Unis et intègre le célèbre Berklee College of Music de Boston.

1999 : Sortie de son premier disque « Immersion » avec notamment James Hurt, François Moutin et Ari Hoenig.

2005 :  Il quitte la formation de Roy Hargrove et cesse toute activité de sideman pour se consacrer à sa propre carrière et au projet « Soné Ka-La »

2012 : Sortie de  son cinquième album « The Art of Dreaming » en quartet avec Baptiste Trotignon, Thomas Bramerie et Hans Van Oosterhout.

CINQ DISQUES ESSENTIELS

Ari Hoenig 

“The Painter” (2004, Smalls Records)

Enregistré en public au Smalls en septembre 2003 en quartet avec Jean-Michel Pilc et Matt Penman, ce premier disque en tant que leader d’une formation du batteur-coloriste Ari Hoenig nous dévoile son talent de compositeur en offrant un bel espace au sax ténor de Jacques Schwarz-Bart.

Jacques Schwarz-Bart

“Soné Ka-La” (2006, Universal)

Avec son deuxième album en leader, Jacques Schwarz-Bart puise dans ses racines guadeloupéennes pour une fusion réussie entre le gwo-ka et le jazz New-Yorkais en mêlant lyrisme, introspection et énergie rythmique.

Olivier Hutman Quartet

“Suite Mangrove” (2007, Plus Loin Music)

Jacques Schwarz-Bart redevient exceptionnellement sideman pour ce remarquable projet du pianiste-compositeur Olivier Hutman en quartet où le travail sur les rythmes et les couleurs harmoniques permet au saxophoniste de s’exprimer pleinement.

Jacques Schwarz-Bart

“Abyss” (2008, Universal)

Dédié à la mémoire de son père qu’il venait de perdre, “Abyss” est le prolongement de “Soné Ka-La” avec une dimension encore plus introspective et spirituelle et la contribution de John Scofield, Elisabeth Kontomanou et Guy Conquete.

Jacques Schwarz-Bart Quartet

“The Art of Dreaming” (2012, Naïve)

Un retour aux fondamentaux avec ce cinquième album inspiré par Carlos Castaneda et la formation d’un quartet soudé et ouvert où Baptiste Trotignon et Thomas Bramerie amènent de passionnantes compositions.