Portraits : Fabrice Martinez " Stev'in My Mind"

1 oct. 2023

“Stev’in My Mind” de Fabrice Martinez

Un projet Wonder Fool !

 A près “Chut !” et  “Twins”, le trompettiste du Supersonic de Thomas de Pourquery n’a pas fini de nous surprendre. Cette fois il revisite les chansons de Stevie Wonder autour  d’un groupe au groove africain !

Par Lionel Eskenazi.

 Fan de Stevie Wonder depuis sa tendre enfance, Fabrice Martinez a toujours eu envie de reprendre sa musique et de rendre hommage au chanteur, multi-instrumentiste et compositeur aveugle, le plus célèbre depuis Ray Charles. Fabrice a réécouté une bonne centaine de chansons de Stevie pour finalement en sélectionner une vingtaine, toutes issues de la période 1970-1979, en écartant les titres les plus célèbres qui lui paraissaient intouchables : « Stevie Wonder est un grand chanteur doublé d’un musicien exceptionnel. Quand il joue de l’harmonica, on a l’impression qu’il est connecté avec le divin, mais c’est aussi et surtout un grand compositeur de chansons qui ont une grande force mélodique. Rien n’est simple dans ses compositions car tout est extrêmement travaillé jusqu’au moindre détail et puis ses textes sont magnifiques en ayant à la fois une portée poétique et politique ». Fabrice Martinez avait bien sûr la certitude que reproduire ces chansons telles quelles, n’avait aucun sens et ne présentait aucun intérêt. Il fallait donc trouver le bon angle pour s’approprier ce fabuleux répertoire gorgé de tubes et de chansons exceptionnelles. Sachant que Stevie Wonder vit une partie de l’année au Ghana et a toujours revendiqué le côté africain de sa culture afro- américaine - notamment pour son combat contre l’apartheid - Fabrice Martinez a imaginé une relecture africaine et instrumentale de ses chansons. A l’image d’un cinéaste, il a écrit un synopsis racontant la vie de Stevie Wonder au Ghana, qui imagine toutes ses chansons des années 1970 passées à la moulinette des rythmes traditionnels africains : « Chaque morceau du disque correspond à un rythme traditionnel africain, on y entend par exemple le Muntata qui provient de la musique bembé du Congo ainsi que le Ndombolo et le Tchikumbi, et puis il y a aussi le Mbalax qui est un rythme qui  vient du Sénégal ». Partant de ce postulat, il a fallut trouver les musiciens adéquats pour ce projet et la rencontre entre Fabrice Martinez et le batteur congolais Romaric Nzaou a été déterminante. Ils ont eu l’occasion de jouer ensemble avec Supersonic lors d’une soirée mémorable en Afrique et il a pu aussi l’entendre jouer dans différents contextes. Il s’est rendu à l’évidence que ce batteur et percussionniste savait tout jouer, qu’il avait une grande connaissance de la musique traditionnelle d’Afrique centrale, mais aussi une très bonne culture du jazz et de la chanson pop. Le hasard faisant bien les choses, il se trouve que Romaric Nzaou est aussi un grand fan de Stevie Wonder !

Dans sa recherche d’autres musiciens africains, Fabrice Martinez s’est rappelé avoir joué avec un bassiste camerounais au groove implacable qui l’avait beaucoup marqué. Il s’agit de Raymond Doumbé, qui a longtemps accompagné Miriam Makeba et Manu Dibango. Né en 1955, il est le plus âgé de la petite équipe réunit par Fabrice Martinez : « Raymond Doumbé a joué un grand rôle sur cet album car pour chaque morceau,  j’ai eu comme point de départ les lignes de basse et il les a travaillées comme un fou. Sur le même principe, j’ai voulu aussi mixé la basse très en avant ». Pour ce projet, Fabrice avait envie du son de l’orgue Hammond B3 et le désir de rejouer avec Bettina Kee (alias Ornette) qu’il avait côtoyé dans Le Sacre du Tympan. Il se trouve qu’Ornette est également chanteuse et même sur un projet instrumental, ça peut toujours servir : « J’apprécie beaucoup le travail d’Ornette et je lui ai demandé de jouer sur trois claviers différents. Pour clore l’album, je lui ai proposé une grille harmonique - qui me faisait penser à du Stevie Wonder - que j’avais écrite en jouant du piano, afin qu’elle se l’approprie, qu’elle trouve une mélodie et qu’elle écrive des paroles dessus. Ça a donné No Time et je lui ai bien sûr demandé de la chanter ». Afin de rendre un digne hommage à la pop des années 1970 et de s’éloigner un peu de l’instrumentation de Stevie Wonder, Fabrice a eu envie d’inclure un guitar hero digne de ce nom et il est tombé en admiration devant le jeu inspiré de Julien Lacharme : « J’ai tourné pendant neuf ans avec Alpha Blondy où j’ai pu côtoyé Julien Lacharme, guitariste qui ne lit pas la musique mais qui a une technique et des oreilles exceptionnelles. Je ne l’ai jamais vu se tromper ou faire une fausse note. Qu’il joue en rythmique ou en solo, il est très inventif. Il me fait parfois penser à Jeff Beck ! ». Le quintette ainsi formé a tenu toutes ses promesses et a su très rapidement créer un son de groupe extrêmement convaincant et tout à fait singulier. De la vingtaine de morceaux sélectionnés, neuf titres de Stevie Wonder ont été retenus dont seulement trois titres très connus (Boogie On Reggae Woman, Visions et la reprise du We Can Work It Out des Beatles). Le projet a pris forme lors d’une résidence à Pointe Noire au Congo où Fabrice Martinez était uniquement entouré de sa section rythmique de choc composé du bassiste Raymond Doumbé et du batteur Romaric Nzaou . Puis après une phase de travail d’écriture, le groupe s’est enfin réuni au complet pour une nouvelle résidence en France dans le cadre du festival Africolor. Afin de donner une touche personnelle à ce projet, Fabrice Martinez a tenu à proposer  deux compositions originales dont On Tour : « Ce morceau écrit sur un ostinato répétitif créé une transe particulière où on a l’impression de tourner sur nous même. Nous l’avons joué sur scène avec des danseurs et ça fonctionne très bien ». Vous l’aurez compris, “Stev’in My Mind” est un disque pour les amoureux du mélange de genre, que l’on pourrait définir comme une musique aux rythmes africains, à l’harmonie jazz et aux mélodies de la Tamla Motown !

Lionel Eskenazi.

CD “Stev’in My Mind” (Collectif La Boutique)