Eric Séva : "Frères de Songs"
2 févr. 2024
ERIC SEVA
Frères de Songs (Les Z'Arts de la Garonne)
Le saxophoniste et compositeur Eric Séva fait partie de ces musiciens prolifiques qui dès qu’ils sortent un disque, ont déjà en tête le suivant. C’est donc peu de temps après la sortie de son septième et très bel album « Adeo » qu’il décide de retourner en studio pour un huitième disque complètement différent du précédent. Ce nouveau projet intitulé « Frères de Songs » propose un disque entier de chansons gorgées de blues et de soul, qu’il avait déjà initié sur son cinquième album « Body and Blues », mais sur seulement quatre titres et avec une instrumentation fort différente.
Si « Body and Blues » s’inscrivait dans une tradition clairement tournée vers le blues, avec l’utilisation de guitares et même de banjo et d’harmonica, « Frères de Songs » avec son instrumentation résolument jazz, dénote complètement et fait partie de ces albums singuliers, impossible à classer et à mettre dans une case ! Une fusion totalement réussie entre blues, pop, soul et jazz, ainsi qu’une subtile connexion entre chanson afro-américaine et jazz français. Il fallait oser associer saxophone baryton ou soprano, trombone, claviers et batterie pour former l’écrin musical des chansons blues et soul de Michael Robinson sans utiliser de guitare et de basse….
Des musiciens fidèles comme le tromboniste Daniel Zimmermann, avec qui Eric Séva a longtemps tourné lors de son projet « Nomade Sonore » et avec qui il se produit régulièrement en duo. Le claviériste Christophe Cravero (qui faisait partie de l’aventure « Body and Blues ») est un musicien multi-instrumentiste exceptionnel qui excelle dans tous les genres. Et enfin une nouvelle venue dans l’univers musical d’Eric Séva : la batteuse Julie Saury, avec qui Eric avait envie de jouer depuis longtemps.
Quant au chanteur et parolier Michael Robinson, c’est en 2017 qu’Eric Séva l’a rencontré lors de l’enregistrement de « Body & Blues », où il interprétait un poème inédit de Nougaro (Blues Diaphane) qu’Eric a transformé en chanson. Michael Robinson, natif de Chicago, habite à Paris et c’est lui qui a remplacé le chanteur Harrison Kennedy sur la tournée « Body and Blues ». Eric Séva avait une folle envie de collaborer de nouveau avec lui car son timbre de voix, tendu vers l’aigu, apporte une dimension aérienne, fragile et poétique, à l’opposé de la plupart des chanteur de blues dont la voix grave est ancrée dans les racines du sol.
Eric Séva a laissé à Michael Robinson la liberté totale d’écrire les paroles de son choix sur ses compositions en lui indiquant uniquement le titre des morceaux pour le guider. Eric a voulu aussi intégrer trois morceaux instrumentaux afin d’aérer son propos axé sur des chansons originales afro-américaines et de l’inscrire également dans le domaine du jazz instrumental à forte connotation groovy.
Dès le titre éponyme Frères de Songs, nous rentrons de plain-pied dans l’univers singulier de cet album avec cette chanson soul-jazz, où Michael Robinson assure à la fois la voix soliste et les chœurs. Comme une synthèse de l’album, il nous parle du plaisir et de la joie qu’il a de faire de la musique avec ses camarades de jeu. On ressent d’emblée la complicité qui unit Eric Séva au saxophone baryton et Daniel Zimmermann au trombone. Nous sommes également séduits par le jeu chaleureux de Christophe Cravero à l’orgue et le toucher de batterie de Julie Saury qui allie la finesse et l’efficacité du groove.
Avec Canopée des Etoiles, place à une ballade poétique portée par la voix aérienne de Michael Robinson et un beau texte lumineux et positif en guise d’hymne à la nature, aux arbres et à la forêt. Le saxophone soprano s’unit avec bonheur au trombone dans l’exécution de solos simultanés.
On est séduit par le groove à la fois prégnant et élégant de Transit Paris-Chicago, où Michael évoque le déracinement à travers son expérience personnelle qui l’a vu partir de Chicago pour émigrer à Paris. Le saxophone baryton se mêle une fois de plus avec bonheur à la sonorité du trombone transformée par une pédale wah-wah.
L’actualité politique s’immisce avec brio dans Stiykist, qui veut dire résilience en ukrainien. Une chanson qui rend hommage au courage du peuple ukrainien face à l’agression russe et où cette fois-ci, c’est le saxophone baryton d’Eric Séva qui utilise des effets de pédale wah-wah.
Retour au calme avec Bivouac Intérieur dans son écrin feutré porté par piano électrique cristallin et un saxophone soprano céleste. Une chanson qui évoque le voyage intérieur porté par des sentiments et des émotions qui varient au fil du temps.
Pas de changement de tempo, ni de faille spacio-temporelle dans Time and Space, au groove implacable. Mais une belle méditation sur le temps qui passe à l’intérieur d’une vie de couple, où Eric Séva utilise de nouveau l’effet wah-wah sur son baryton et poursuit l’exploration du solo simultané avec le trombone.
Une respiration instrumentale de plus en plus groovy se développe magistralement dans A Gogo avec baryton, trombone wah-wah, piano électrique et un jeu de batterie puissant qui flotte au-dessus de la mêlée, où Julie Saury explore avec bonheur les rythmes de la Nouvelle-Orléans.
Le sentiment de résilience et d’optimisme domine une fois de plus dans la chanson Agochic où Michael Robinson nous dit en substance que quoi qu’il arrive, il faut toujours aller de l’avant. Un morceau où chaque instrumentiste a le temps de s’exprimer pleinement.
Un court interlude instrumental saxophone-trombone est exploré dans Sœurs de Songs qui rappelle subtilement le thème de Frères de Songs, suivi d’un autre instrumental intitulé Minicrospique Blues, où domine une rythmique gorgée de feeling et de sensualité aux couleurs blues-soul.
Enfin l’album se termine sur une courte réminiscence de Canopée des Etoiles intitulée Canopée d’Amazonie.
Lionel Eskenazi.